Entretien avec Maurice Grunwald

Président fondateur du Fonds de Dotation Mercy

Vous êtes le président du Fonds de Dotation Mercy, qui fête ses 10 ans en 2025. Quelle est sa raison d’être ?

Maurice Grunwald : Parce que la santé, la sécurité et le bien-être au travail sont aussi des facteurs de productivité, de compétitivité et de cohésion, le Fonds de Dotation Mercy accompagne et finance, de manière variable, des études et des projets innovants et d’intérêt général, destinés à améliorer les conditions d’exercice des salariés en Moselle et dans le Nord de la Meurthe-et-Moselle.

Il fonde son action sur la conscience aigüe des membres de son conseil d’administration de l’importance de sensibiliser les employeurs à leurs obligations légales en la matière et de les encourager à mener des actions, à implémenter des solutions permettant de contrecarrer la survenance d’accidents ou d’altérations de la santé physique et mentale des salariés.

Maurice Grunwald, Président fondateur du Fonds de Dotation Mercy

Pouvez-vous revenir sur les conditions de la création du Fonds, qui sont tout à fait particulières ?

MG : La création du Fonds de Dotation Mercy est le fruit d’une opportunité qui a su être saisie. Ses racines remontent aux années ’70. A cette époque, il existait, en effet, une association, l’AERPPA, qui offrait aux entreprises la possibilité de souscrire un contrat de prévoyance au profit de leurs salariés et de leurs familles à une période où cela était facultatif. Son conseil d’administration, dont je faisais partie, était composé des partenaires sociaux de manière paritaire. Les entreprises adhérentes (environ 500), principalement issues du secteur de la métallurgie de Moselle et du Nord de la Meurthe-et-Moselle, alimentaient donc la caisse de prévoyance par des cotisations patronales et salariales. Ce système, qui permettait de couvrir les accidents de la vie (arrêts de travail, invalidité voire incapacité permanente ou décès) a prospéré jusqu’à ce que l’Union Européenne décide d’adopter une directive rendant cette démarche obligatoire.

Lorsque l’Etat français a transposé puis mis en application cette directive européenne, un nouveau marché s’est ouvert pour les grandes mutuelles et compagnies d’assurances, qui ont su user de leur pouvoir d’influence auprès des confédérations professionnelles et interprofessionnelles pour le développer. Conséquence : de nombreuses entreprises initialement adhérentes de notre modeste association l’ont quittée, compromettant ainsi son devenir. La décision a alors été prise de vendre le portefeuille de clientèle résiduel à l’un de ces grands assureurs puis d’utiliser les réserves financières pour constituer un fonds de dotation au bénéfice de l’amélioration des conditions de travail, dans le respect de la loi locale qui impose que le patrimoine d’une structure soit dévolu à une autre structure poursuivant les mêmes buts.

C’est ainsi que le Fonds de Dotation Mercy a vu le jour, en 2015 avec, au sein du conseil d’administration, les mêmes partenaires sociaux qu’au début de l’aventure.

Comment les missions du Fonds de Dotation Mercy ont-elles évolué au fil des ans ?

MG : Au départ, la mission de base du Fonds était d’intervenir lorsque survenait un problème pouvant entraîner des accidents du travail, voire des maladies professionnelles ou des altérations de santé tant physiques que mentales. Ce fut, durant les deux premières années, la raison d’être du Fonds de Dotation Mercy. Mais très vite, nous nous sommes rendus compte que beaucoup d’employeurs n’étaient pas suffisamment éveillés à leurs obligations réglementaires en la matière.

C’est la raison pour laquelle de nouvelles missions de sensibilisation et de formation se sont ajoutées, à destination de l’ensemble des employeurs, dans le droit fil des prescrits de la loi du 2 août 2021 qui a réformé l’organisation de la santé au travail en France. Citons, à cet égard, une collaboration fondatrice avec l’Ecole Nationale des Ingénieurs de Metz (ENIM), qui a été la première école d’ingénieurs à compléter son cycle de formation avec un module dédié à la santé-sécurité au travail.

En substance, pour qu’un projet soit soutenu par le Fonds de Dotation Mercy, il faut que trois critères soient rencontrés : bien entendu, il faut d’abord que la raison d’être du projet se rapporte à la santé-sécurité et au bien-être au travail. Ensuite, il est nécessaire que ce projet présente un caractère innovant. Enfin, ce dernier devra aussi s’inscrire dans la recherche de l’intérêt général. Cela a pour corollaire, par exemple, que les résultats et enseignements issus du projet puissent être diffusés largement pour que le plus grand nombre d’employeurs puissent s’en saisir.

Aujourd’hui et dans un avenir proche, la santé-sécurité et le bien-être au travail seront confrontés à de nouveaux défis : la santé mentale, le télétravail, l’intelligence artificielle, le vieillissement de la population active, pour n’en citer que quelques-uns. Comment le Fonds de Dotation Mercy ajuste-il son action dans cette perspective ?

MG : Effectivement, il y a des risques nouveaux, notamment liés à l’évolution des techniques mais aussi à l’évolution des comportements des hommes et des femmes. Il faut identifier les risques futurs pour la santé physique et/ou mentale des salariés.

Par exemple, dans le cas du télétravail, le lien de subordination directe entre l’employeur et le travailleur n’existe plus puisqu’ils ne sont plus en présence l’un de l’autre. Cette situation entraîne forcément des risques physiques ou psycho-sociaux.

Beaucoup a déjà été fait, mais il reste des champs à investiguer en lien avec ces nouvelles situations professionnelles : ceux de la désinsertion professionnelle et des addictions, par exemple, que l’on parle de l’alcool, de la drogue ou du numérique. Ces nouveaux enjeux guident évidemment le Fonds de Dotation Mercy dans le choix des projets qu’il soutient.

Plus que jamais aussi, il s’agit d’opérationnaliser cette volonté forte de faire comprendre aux employeurs que la santé-sécurité au travail est, certes, une obligation légale mais aussi un facteur éminent de productivité, et donc de compétitivité. C’est vrai dans les entreprises (qu’elles vendent des biens ou des services) comme dans le secteur public, où l’on parlera plus volontiers d’amélioration des prestations de services rendues aux usagers et aux citoyens. Dans ce cadre-là, la santé-sécurité au travail est également vectrice de cohésion des territoires.

Vous êtes le président fondateur du Fonds de Dotation Mercy. Votre carrière professionnelle a été riche de nombreuses opportunités, dans des domaines variés. Pourtant, on mesure toute l’ampleur de l’engagement qui a été et est toujours le vôtre pour la santé-sécurité et le bien-être au travail. Pourquoi ce thème vous tient-il autant à cœur ?

MG : Ma vie professionnelle n’a pas été un long fleuve tranquille. J’ai commencé comme instituteur, et cette période m’a amené de grandes satisfactions dans la mise en œuvre de ce partenariat avec les élèves. Et j’emploie ce terme de partenariat à dessein, car c’est vraiment ainsi que je l’ai vécu. Et à l’époque, on était 40 dans une classe, pourtant ! Durant toute ma carrière, j’ai conservé ce besoin de transmettre les connaissances qui étaient les miennes. J’ai toujours eu une grande passion pour la formation. D’ailleurs, je me suis longtemps occupé d’apprentissage et de formation continue au travers des organisations professionnelles.

Après mon service militaire, j’ai entrepris une formation universitaire et atterri dans l’industrie. J’ai été chef d’entreprise. Plus tard, j’ai pu satisfaire concomitamment mes deux passions – la formation et le maintien en santé – à travers la présidence de l’Agestra, le service de santé au travail pour la plus grande partie du département de Moselle.

Et lorsque je suis devenu président du Fonds de Dotation Mercy, j’ai aussi eu à cœur d’œuvrer au bien-être de l’ensemble des interlocuteurs et collaborateurs avec lesquels j’ai été en contact.

Qu’êtes-vous le plus fier d’avoir accompli depuis 10 ans, à travers l’action du Fonds ?

MG : C’est une question difficile.

Le Fonds de Dotation Mercy, c’est à la fois une source de financement et une expertise. C’est une structure absolument unique en son genre en France.

Toutes les organisations que nous avons accompagnées depuis 2015 nous ont montré leur gratitude. C’est vrai de la part des employeurs mais aussi de celle des représentants des salariés de ces entreprises qui reconnaissent une amélioration de leurs conditions de travail à travers l’action que nous avons permis d’advenir. En 10 ans, nous n’avons jamais connu d’échec. Ca, c’est une fierté.

Lorsqu’un accompagnement se termine, l’ensemble des porteurs des projets soutenus par le Fonds sont invités à l’événement final… et ils sont pratiquement toujours tous fidèles au rendez-vous ! Cette communauté en croissance est, à mes yeux, une preuve concrète de la vivacité de la culture et des pratiques de santé-sécurité et bien-être au travail sur notre territoire. Et cela aussi est une fierté, de même que de constater qu’à présent, le secteur public (je pense à la Gendarmerie, à l’Eurométropole de Metz, et la communauté d’Agglomération Portes de France Thionville, par exemple) aussi nous contacte et recherche le soutien du Fonds de Dotation Mercy.

Y a-t-il un projet qui vous a particulièrement marqué ?

MG : S’il y a un projet auquel nous avons consacré beaucoup de moyens et de temps, c’est celui que nous avons soutenu avec l’ENIM et le laboratoire 2LPN : la création de la Chaire Behaviour. Son objectif est l’étude de la dynamique des comportements humains non techniques et leurs influences sur la sécurité et la sûreté sociétale et environnementale. J’ai une inclination particulière pour ce projet parce qu’il est foncièrement respectueux de la dignité de l’Homme.

Si c’était à refaire, que changeriez-vous, le cas échéant ?

MG : Evaluer la pertinence et le caractère innovant des projets qui sont soumis au Fonds de Dotation reste une tâche difficile. Nous avons parfois des erreurs d’interprétation. Mais tout ce qui touche à la santé-sécurité et au bien-être au travail est avant tout une affaire d’humain. Et dès que l’on a affaire aux hommes, on peut se tromper.

Nos émotions nous dirigent parfois. Il faut pouvoir s’en prémunir mais c’est loin d’être évident.

Au terme de votre mandat actuel, vous passerez la main à un successeur. Qu’aimeriez-vous qu’on retienne de votre action ? Et quel message, quelle recommandation aurez-vous envie de déposer à l’intention de celui ou de celle qui vous suivra ?

MG : Je souhaite à mon successeur de placer cette notion de l’humain au centre de son action.

Seuls 20% des accidents du travail ont une cause technique. Les 80 % restants sont liés aux comportements. Il est important de ne pas l’oublier et de continuer à soutenir prioritairement les projets qui explorent cette dimension passionnante qui fait ce que nous sommes.

Interview et rédaction : Nathalie Ricaille, journaliste.

Les propos ayant servi de base à cet article ont été recueillis entre février et mai 2025.

Que toutes les personnes interviewées soient ici remerciées pour leur temps et l’intérêt qu’elles ont marqué à l’égard de la sollicitation du Fonds de Dotation Mercy.

Entretien avec Maurice Grunwald, Président fondateur du Fonds de Dotation Mercy

Le Fonds de Dotation Mercy : 10 ans de philanthropie atypique et volontariste au service de l’innovation en matière de santé-sécurité et bien-être au travail

Cet article fait partie d'une série qui retrace les 10 premières années d'action du Fonds de Dotation Mercy. Constituée de 8 parties, dont vous pourrez trouver les liens ci-dessous, elle donne à voir à travers des témoignages variés la portée du Fonds de Dotation Mercy dans le soutien à l'innovation dans le domaine de la santé-sécurité et le bien-être au travail.

LISTE DES ARTICLES :

Projets emblématiques soutenus par le Fonds Mercy :