Le Lab’EST

ou quand la Gendarmerie prend soin des siens

La Gendarmerie est une institution militaire et ce, depuis plus de neuf siècles. Elle a traversé toutes les tribulations de l’Histoire : prévôté, maréchaussée, gendarmerie royale, puis impériale… et enfin nationale depuis 1791.

Dans un univers professionnel tel que celui-là, très marqué par la rigueur hiérarchique et l’exposition constante au risque, quelle place pour la santé-sécurité et le bien-être au travail ?

À l’initiative du général de corps d’armée Olivier Kim, une structure innovante vient de voir le jour pour jeter une lumière stratégique sur ces questions en Grand Est : le Lab’EST.

Tout à la fois centre régional d’instruction et laboratoire de recherche (en partenariat avec l’Ecole Nationale des Ingénieurs de Metz), le Lab’EST aura pour mission d’explorer les déterminants de la qualité de vie en uniforme, de produire des connaissances actionnables et d’impulser une dynamique d’amélioration continue.

Il bénéficie pour cela du soutien du Fonds de Dotation Mercy.

Un contexte atypique pour la santé-sécurité au travail

Après 45 ans passés sous l’uniforme, celui qui commandera la région de gendarmerie du Grand Est  et la gendarmerie pour la zone de défense et de sécurité Est jusqu’à sa mise à la retraite en septembre prochain avoue ne s’être jamais ennuyé. « Je me lève de bonne heure pour aller travailler de bonheur » s’amuse le général Kim. Un jeu de mots, mais surtout une philosophie qu’il aimerait voir mieux appliquée par l’ensemble des gendarmes.

Pour autant, le contexte est très spécifique : « La gendarmerie, c’est du 24h/24, du 7j/7. Les personnels sont soumis à une tension opérationnelle, à des risques physiques, psychologiques et moraux qui n’ont pas grand-chose de commun avec ceux que connaît le monde de l’entreprise, par exemple », résume Olivier Kim.

Astreintes, interventions en pleine nuit, rythme irrégulier, poids des responsabilités, confrontation à la face sombre de la société, voire à la mort : le quotidien des gendarmes est exigeant, et parfois éprouvant. Il peut impacter leur santé et leur moral et conduire à des comportements déviants. Il peut aussi avoir des répercussions directes sur l’entourage familial, les gendarmes vivant et travaillant la plupart du temps au même endroit. Et lorsque le mal-être est là, force est de reconnaître qu’il reste souvent difficile à évoquer.

La gendarmerie, c’est du 24h/24, du 7j/7. Les personnels sont soumis à une tension opérationnelle, à des risques physiques, psychologiques et moraux qui n’ont pas grand-chose de commun avec ceux que connaît le monde de l’entreprise.
Olivier Kim

Général de corps d’armée

La gendarmerie, cette « force humaine »

Dans les années ’90 déjà, la gendarmerie, cette « force humaine », avait été la première institution à aborder deux sujets alors totalement tabous : la souffrance au travail et le suicide. Cette démarche avait, à l’époque, été saluée par l’ensemble des autres corps. « Reconnaître qu’on n’est pas des surhommes, ça ne nous fragilise pas. Au contraire » affirme le général.

Mais depuis, le monde a changé. Les contraintes du télétravail, la fatigue numérique, la spirale de la violence physique et verbale, le burn-out et son contraire (tout aussi délétère), le bore-out, sont des données nouvelles avec lesquelles il faut désormais composer.

Pour agir, le vieux réflexe consiste souvent à attendre que la personne aille mal, qu’elle consulte un médecin et qu’un diagnostic tombe. C’est une erreur. « Il convient vraiment d’agir très en amont, en prévention, afin d’éviter les drames » explique Olivier Kim, convaincu.

Un laboratoire pour comprendre et agir

C’est avec cette volonté pour toile de fond qu’est née l’idée du Lab’EST, un outil innovant au service des personnels, situé quelque part à la croisée des sciences sociales, de la santé au travail et de l’innovation managériale. Il fait aujourd’hui l’objet d’un grand intérêt, même au-delà des frontières de la région : « Il y a une vraie prise de conscience désormais, y compris dans les plus hautes sphères de la Gendarmerie, que la performance opérationnelle passe aussi par la capacité à prendre soin de ceux qui la portent » ajoute encore le général.

On l’a compris, le Lab’EST ne sera donc pas un centre d’instruction régional traditionnel mais un véritable laboratoire permettant de passer d’un regard essentiellement disciplinaire à une approche systémique, où la sécurité et le bien-être des gendarmes ne seront plus des angles morts, mais des priorités stratégiques assumées.

De nombreuses pistes d’action sont sur la table, certaines déjà presque à maturité, d’autres encore au stade exploratoire. Ainsi, les premières réalisations envisagées sont des modules de formation, plus ou moins approfondis selon les besoins. L’un des premiers sujets traités sera la santé mentale. L’objectif ? « Que nos personnels sachent non seulement comment repérer une souffrance chez leurs camarades, mais aussi comment, par exemple, gérer un échange, dans la rue, avec quelqu’un en détresse psychologique » explique le colonel Laurent Grau, qui assiste le général Kim dans la concrétisation du projet. Il y a aussi tout un pan de travail à mettre en oeuvre autour du développement durable, autre façon inédite d’aborder la qualité de vie dans les casernes.

Un partenariat inédit avec les porteurs de la Chaire Behaviour

Mais le Lab’EST constituera aussi – et peut-être surtout – un lieu de recherche, dynamisé par une collaboration étroite avec l’Ecole Nationale des Ingénieurs de Metz (ENIM) qui co-porte la chaire industrielle Behaviour avec le Laboratoire Lorrain de Psychologie et Neurosciences de la dynamique des comportements (2LPN).

Olivier Kim s’en félicite déjà : « Nous sommes très ouverts aux partenariats. Et je pense que c’est aussi intéressant pour l’ENIM d’avoir à ses côtés un acteur comme la gendarmerie, certes institutionnel mais aussi déconcentré, c’est-à-dire agissant au plus près du terrain. Bref, c’est du gagnant-gagnant ! »

Main dans la main, il s’agira donc, au fil de l’eau, d’identifier les situations de travail les plus à risques pour les gendarmes (l’usage des armes ou le travail isolé, par exemple), de les modéliser, d’en analyser les facteurs de dérapage pour, in fine, y apporter des solutions correctrices.

Le Fonds de Dotation Mercy, catalyseur discret mais décisif

Le Lab’EST sera officiellement lancé dans les semaines qui viennent, avec le soutien du Fonds de Dotation Mercy. Celui-ci s’est avéré déterminant : « Avec notre budget classique, on aurait pu faire des choses, mais à la marge. Là, on peut avoir une vraie ambition, structurée, organisée. On sort du bricolage » reconnaît sans peine le général … qui a tout de même eu un peu de mal à y croire au début : « Quelqu’un qui veut donner de l’argent, comme ça, sans contrepartie ? C’est bizarre, non ? Nous, les gendarmes, on est toujours un peu soupçonneux, au départ. Réflexe professionnel » relève-il avec humour.

Mais il ne s’agit pas que d’argent. « Le Fonds Mercy nous a aussi apporté son réseau, notamment sur le bassin messin » ajoute-il. « C’est par cet intermédiaire que nous avons rencontré Pierre Chevrier, le directeur de l’ENIM et commencé à esquisser les prémices d’une mise en synergie de nos leviers d’action. En fait, à travers l’intercession du Fonds, c’est une vraie intelligence territoriale qui s’est mise en mouvement pour fertiliser les idées. C’est une logique de coopération à la fois humaine, logistique et intellectuelle qui apporte une plus-value décisive. »

Le pari n’était pourtant pas gagné d’avance. Dans un univers aussi normé que celui de la gendarmerie, les innovations sociales sont souvent regardées avec circonspection. « Au début, à l’état-major, certains disaient : “Tiens, encore une idée du général Kim…” » raconte celui-ci avec un petit sourire. « Et puis, ils en ont compris le sens, l’utilité, la dynamique… du coup, les barrières se lèvent progressivement et un effet d’entraînement se crée. Car, au fond, il y a une vraie attente. »

Vers une gendarmerie plus humaine

À terme, les acquis des travaux pionniers du Lab’EST irrigueront l’ensemble du territoire régional. Les outils dérivés pourront aussi servir ailleurs en France.

Olivier Kim en résume parfaitement l’ambition : « Cette démarche, ce n’est pas un gadget. C’est une façon nouvelle d’envisager notre responsabilité de commandement. S’occuper de la santé des personnels, c’est s’occuper de l’efficacité de la gendarmerie. C’est aussi simple que ça. » En filigrane, c’est la vision d’une gendarmerie plus humaine qui se dessine. Plus attentive à ses soldats du quotidien. Plus consciente, aussi, que leur engagement mérite reconnaissance, considération, et un cadre de travail à la hauteur.

« Parce qu’ils le valent bien », glisse le général, dans un clin d’œil complice à une célèbre publicité, avant d’ajouter, plus grave : « Et parce que si nous, on ne le fait pas… qui, alors, le fera ? »

Interviews et rédaction : Nathalie Ricaille, journaliste.

Les propos ayant servi de base à cet article ont été recueillis entre février et mai 2025.

Que toutes les personnes interviewées soient ici remerciées pour leur temps et l’intérêt qu’elles ont marqué à l’égard de la sollicitation du Fonds de Dotation Mercy.

Le Fonds de Dotation Mercy : 10 ans de philanthropie atypique et volontariste au service de l’innovation en matière de santé-sécurité et bien-être au travail

Cet article fait partie d'une série qui retrace les 10 premières années d'action du Fonds de Dotation Mercy. Constituée de 8 parties, dont vous pourrez trouver les liens ci-dessous, elle donne à voir à travers des témoignages variés la portée du Fonds de Dotation Mercy dans le soutien à l'innovation dans le domaine de la santé-sécurité et le bien-être au travail.

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