Miser sur l’intelligence artificielle pour faire avancer la recherche en matière de santé au travail :

Le pari du projet Janus

Certains estiment qu’il faut d’abord être en bonne santé pour pouvoir travailler. D’autres pensent plutôt que la santé, mentale et physique, peut aussi se construire dans le travail, pour autant que les conditions pour l’exercer de manière satisfaisante soient rassemblées. Eric Brangier fait partie de ceux-là.

Au sein de l’Université de Lorraine, ce docteur en psychologie du travail, dirige le projet de recherche Janus, en collaboration avec l’Ecole Polytechnique de Montréal. L’objectif : analyser les conditions de travail d’un échantillon de plus de 10.000 salariés et en tirer des recommandations pratiques pour améliorer le bien-être individuel et collectif mais aussi assurer une meilleure compétitivité des entreprises.

Ce projet, soutenu par le Fonds de Dotation Mercy, représente la promesse d’une avancée significative dans la compréhension des dynamiques à l’œuvre au sein du monde du travail et leur contribution au développement économique des territoires.

Comprendre le présent pour prédire le futur

« L’humain façonne la technologie qui à son tour façonne l’humain… et ainsi de suite, depuis un million d’années. C’est cette relation entre l’humain, la technologie et l’organisation qui m’intéresse passionnément. » Depuis plus de 25 ans, Eric Brangier enseigne et conduit des travaux de recherche avec les deux mêmes finalités : explorer ce lien de l’humain au travail et ses conséquences sur sa santé, mais aussi aider à développer des environnements numériques et de travail qui répondront mieux, demain, aux besoins des utilisateurs. C’est ce que l’on appelle l’ergonomie prospective. « Le travail est ce qui détermine notre succès ou notre échec » se plait-il souvent à rappeler. « Les conditions dans lesquelles le travail se déroule sont donc extrêmement importantes. »

Au sein de l’Université de Lorraine, le professeur Brangier est aujourd’hui responsable du Master Ergonomie et dirige le laboratoire interdisciplinaire PErSEUs. Il y est également à la tête de Managemétrie, une unité à vocation de service aux entreprises, qui s’appuie sur les résultats de la recherche pour proposer des prestations sous la forme d’enquêtes par questionnaire, essentiellement autour des questions de santé au travail, de performance humaine et organisationnelle, de management.

Depuis la création de Managemétrie il y a un peu moins de 10 ans, plusieurs milliers de salariés issus d’une quarantaine d’entreprises aux profils variés ont été interrogés de manière rigoureuse. Ensemble, ils forment « un échantillon d’une taille très importante, donc très intéressant et représentatif » confirme le professeur Brangier. Bref, un échantillon parfait pour servir de base à une nouvelle recherche à l’ambition plus large : « L’idée » explique-t-il encore « est effectivement d’exploiter ces données dans leur ensemble pour essayer de comprendre ce qu’elles ont à nous apprendre sur la santé au travail aujourd’hui, mais aussi dans quelle mesure elles pourraient permettre de prédire les réalités de demain. »

Le travail est ce qui détermine notre succès ou notre échec. Les conditions dans lesquelles le travail se déroule sont donc extrêmement importantes.
Eric Brangier

Professeur, Ergonomie et Psychologie

Une collaboration transatlantique fondée sur l’intelligence artificielle

C’est ainsi qu’est né le projet Janus, subtilement nommé ainsi en référence au dieu romain aux deux visages, l’un tourné vers le passé et l’autre vers l’avenir.

Le travail à conduire se concentre sur deux aspects : l’analyse qualitative et l’analyse quantitative. Les données qualitatives proviennent des verbatim des salariés qui ont exprimé ce qui les rendaient heureux ou malheureux au travail. Elles permettent ainsi d’incarner des constats. Quant aux données quantitatives, elles sont significatives, vu le nombre de répondants.

Mais la masse d’informations à traiter est telle que le projet, pour être mené à bien, nécessite l’utilisation de techniques et d’outils d’analyse statistique avancés. Pour cela, le professeur Brangier s’est naturellement tourné vers l’Ecole Polytechnique de Montréal, véritable centre de référence en la matière, et plus précisément vers Michel Desmarais, professeur titulaire au département de génie informatique, avec lequel il collabore depuis plus de 20 ans.

Ensemble, avec leurs équipes respectives, ils ont mis en place un programme de recherche dont l’objectif est d’analyser les données en appliquant des modèles d’intelligence artificielle, tels que des réseaux de neurones, qui permettent d’opérer rapidement des classifications et d’apprendre à les améliorer.

Le nom du projet fait référence au dieu romain Janus, dieu des commencements et des fins, des choix, du passage et des portes, illustrant ainsi l’idée de s’appuyer sur les données tirées des expériences passées pour prédire les réalités de demain.

À Metz, des installations de recherche à la pointe du progrès

Entamé en septembre 2024, le projet Janus est en cours pour un an. Il bénéficie du soutien du Fonds de Dotation Mercy, avec lequel les premiers contacts s’étaient noués il y a quelques années déjà.

Pour mieux comprendre l’expertise développée par l’Université de Lorraine en matière d’ergonomie et de psychologie du travail, Maurice Grunwald, le président du Fonds et Dominique Bourrion, son directeur, avaient, en effet, visité le laboratoire PErSEUs. Ils ont ainsi découvert ses salles de conception immersive, son laboratoire d’utilisabilité, ses dispositifs permettant d’analyser les mouvements oculaires ou de mesurer l’activité électrodermale, par exemple. Cette rencontre a constitué un tournant : « Je pense qu’ils ont été impressionnés par nos installations » avance Eric Brangier. « Ils ont réalisé qu’il y avait là un véritable pôle de compétences à exploiter. D’ailleurs, ils m’ont immédiatement proposé de monter un projet ensemble, en m’indiquant qu’ils étaient prêts à le financer. »

Une des salles de conception immersive – plateforme Hyve 3D du laboratoire PErSEUs

Le Fonds Mercy : un partenaire réactif, qui aide à aller vite et loin

Il aura encore fallu plusieurs mois pour que ce partenariat se concrétise, le temps notamment, de terminer les autres recherches en cours. Mais ensuite, tout est allé très vite, et notamment la phase d’instruction du dossier au sein du Fonds de Dotation Mercy, qui n’a pris que quelques semaines. « En tant que porteur de projet, je trouve cette rapidité essentielle » déclare le professeur Brangier. « On dit souvent qu’il faut 15 à 20 ans pour former un chercheur, et c’est vrai. Mais dans des secteurs d’innovation rapide comme l’intelligence artificielle ou l’analyse de données, tout doit avancer à grande vitesse pour apporter des réponses aux besoins d’aujourd’hui. Ces deux temporalités se croisent en permanence, et nous ne sommes évidemment pas les seuls à manipuler des données quantitatives sur l’univers du travail aujourd’hui. La question est donc toujours de savoir qui sera capable de mener à bien sa recherche avec le plus de célérité. La réactivité du Fonds nous a permis de ne pas prendre de retard.»

Et parce que le travail en visioconférence a ses limites, le soutien apporté a aussi permis de dégager un budget total offrant au professeur Brangier la possibilité d’aller jusqu’à Montréal pour faciliter l’avancement de sa recherche : « Ça n’aurait pas de sens » explique-t-il « d’analyser des données chacun dans son coin, puis de rédiger une publication commune. Nous avons besoin d’échanges constants entre chercheurs. Cette proximité géographique favorise une synergie professionnelle et humaine qui serait difficile à reproduire à distance. »

La santé, levier de compétitivité des entreprises

A l’heure qu’il est, il est trop tôt pour évoquer de premiers résultats probants.

En revanche, les enjeux de cette recherche transatlantique, eux, sont clairs : améliorer les conditions de travail, réduire l’absentéisme et promouvoir la santé mentale et physique des salariés. « Ce que nous tentons de démontrer » précise Eric Brangier c’est que le travail peut être un vecteur de développement de la santé. Mais que l’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas uniquement d’une question de bien-être individuel : la santé au travail est également liée à la performance des organisations. Lorsque les individus sont épanouis, ils donnent le meilleur d’eux-mêmes et contribuent à l’entreprise, en retour. »

En ce sens, les enseignements issus du projet Janus pourraient, à terme, transformer la manière dont les entreprises abordent ce sujet, en le considérant comme un levier de compétitivité.

Faire vivre le savoir académique sur le terrain

On le voit, il ne s’agit donc pas uniquement de produire des connaissances académiques, mais également d’avoir un impact positif et concret sur les individus, les acteurs économiques et, plus largement, le territoire. Comme le répète souvent Eric Brangier : « A un moment donné, il faut aussi animer ce savoir nouveau et le diffuser dans un réseau de partenaires qui sauront se l’approprier et le mettre en action. » C’est la raison pour laquelle, dès que possible, des rencontres informelles seront organisées avec des dirigeants et des acteurs du travail issus d’entreprises mosellanes, en collaboration avec le Fonds de Dotation Mercy.

Passer de la théorie à la pratique ne sera toutefois pas si simple, et le professeur Brangier le reconnaît sans peine : «  cette démarche de valorisation locale du savoir devra impérativement s’accompagner des outils utiles pour aider les entreprises à faire les bons choix. Pour réussir, l’implication des organisations syndicales sera nécessaire également. »

Dans un monde professionnel en pleine mutation, l’alliance de toutes les forces et volontés de progrès sera donc déterminante pour soutenir le changement.

Interviews et rédaction : Nathalie Ricaille, journaliste.

Les propos ayant servi de base à cet article ont été recueillis entre février et mai 2025.

Que toutes les personnes interviewées soient ici remerciées pour leur temps et l’intérêt qu’elles ont marqué à l’égard de la sollicitation du Fonds de Dotation Mercy.

Le Fonds de Dotation Mercy : 10 ans de philanthropie atypique et volontariste au service de l’innovation en matière de santé-sécurité et bien-être au travail

Cet article fait partie d'une série qui retrace les 10 premières années d'action du Fonds de Dotation Mercy. Constituée de 8 parties, dont vous pourrez trouver les liens ci-dessous, elle donne à voir à travers des témoignages variés la portée du Fonds de Dotation Mercy dans le soutien à l'innovation dans le domaine de la santé-sécurité et le bien-être au travail.

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