La rénovation de l’Opéra-Théâtre de Metz :

une opportunité pour améliorer les conditions de travail

Inauguré en 1752, l’Opéra-Théâtre de Metz est le plus ancien théâtre encore en activité en France. De nombreuses troupes et de grands noms s’y sont produits au fil du temps, dont Sarah Bernhardt et Jean Cocteau pour n’en citer que deux.

Tout à la fois théâtre, opéra et lieu pour le ballet, l’endroit constitue un outil culturel complet administré par l’Eurométropole de Metz. Il dispose, par exemple, de ses propres ateliers pour la fabrication des costumes, des décors et des accessoires.

L’Opéra-Théâtre se trouve pourtant aujourd’hui dans un état de vétusté structurelle et énergétique tel qu’une vaste rénovation s’impose. Mais ce chantier de deux ans, dont la maîtrise d’oeuvre a été confiée à l’Agence d’architecture Fabre/Speller, ne se limite pas à redonner ses lettres de noblesse au bâti. Il comporte aussi, en coulisses, un volet plus discret mais tout aussi décisif de transformation des conditions de travail des équipes techniques.

Ce projet est activement soutenu par le Fonds de Dotation Mercy.

La santé-sécurité au travail : un sujet méconnu dans le monde culturel

Au premier regard, rien ne trahit le tumulte des réaménagements en cours et à venir. Niché sous les arcades de la place de la Comédie, l’Opéra-Théâtre de Metz conserve, pour le flâneur, son allure classique d’influence toscane. Pourtant, derrière les lourdes tentures et les fauteuils rouges, un tout autre décor se dessine : celui d’un lieu de création qui, pour continuer à (faire) vibrer, doit aussi s’adapter aux défis du XXIe siècle.

Etat sanitaire et fonctionnel critique, faible performance énergétique, étroitesse des espaces, manque de lieux pour répéter… il était temps de redonner un gros coup de jeune à l’édifice mais aussi – fait remarquable – d’améliorer les conditions de travail des personnels qui y sont attachés.

Ce dernier sujet fait encore trop peu partie de l’équation dans le monde culturel. « Très souvent » avance l’architecte Xavier Fabre « les décideurs sont poussés par des enjeux réglementaires de sécurité et d’accessibilité ou par des questions d’image de marque et d’accueil du public, voire des impératifs techniques. Mais ils se préoccupent rarement de la qualité de vie au travail. Ici, à Metz, c’est le cas et il faut le saluer. » Et le maître d’oeuvre sait de quoi il parle, lui qui a accompagné l’évolution de plusieurs opéras, dont ceux d’Avignon, de Tours ou de Saint-Pétersbourg.

Car même si on est ici loin de certains paramètres-clés d’un contexte industriel, les conditions d’intervention sont parfois tout aussi difficiles, à leur manière, dans un opéra ou un théâtre. L’architecte l’affirme sans détour : « le spectacle vivant ne se pense pas spontanément comme un univers de travail. On pense création, émotion, beauté… mais derrière, il y a une organisation, des contraintes, une technicité parfois aussi poussées que dans l’industrie. Alors que le résultat attendu, lui, doit être encore plus subtil, plus sensible. »

Le Fonds de Dotation Mercy nous a permis de nous poser les bonnes questions et de nous fixer des objectifs, tout en nous octroyant des moyens pour les atteindre.

Xavier Fabre

Architecte

Photo de Xavier Fabre : © Adrien Fabre

L’art et la magie au détriment de la santé et du bien-être

Construction et manipulation de décors, port de charges, transport de matériaux, circulation dans les espaces, travail en hauteur, stress lié au rythme, aux horaires, au niveau d’exigence… de nombreux corps de métiers sont potentiellement concernés par ces réalités, du machiniste à la couturière, en passant par le technicien lumière. Mais portés par le même enthousiasme créatif et amoureux de leur art, la plupart considère encore que cela fait partie du « charme de l’emploi » au risque, parfois, d’y laisser une partie de leur santé physique ou mentale.

Xavier Fabre connaît bien ces situations : « Quand on crée une œuvre d’art , on ne sait jamais jusqu’où il faut aller. La limite n’est pas claire. Du coup, ils existent, ces professionnels épuisés parce qu’ils ont refait trois fois un costume qui ne correspond toujours pas aux attentes du metteur en scène. Ils existent aussi, ces dos qui craquent, ces accidents qu’on n’a pas vu venir. On ne peut plus faire comme si de rien n’était. »

Pour toutes ces raisons, le chantier inédit engagé à l’Opéra-Théâtre de Metz a toutes les chances de faire école et d’influencer durablement les représentations et les pratiques du secteur.

La grande salle de l’Opéra-Théâtre et sa fosse d’orchestre

Xavier Fabre en pleine concertation avec son équipe

Une réflexion collective pour une stratégie inédite, avec le soutien du Fonds Mercy

Une stratégie a été élaborée pour régler les problèmes de sécurité et améliorer les conditions de circulation, notamment grâce à la mise en place d’une grande galerie qui reliera les ateliers au plateau. Des espaces de répétition seront créés dans une extension à bâtir. Quant aux services, ils seront réorganisés pour que chacun puisse mieux y trouver sa place. Si tout se passe comme prévu, le nouvel opéra sera livré fin 2027.

En parallèle, une collaboration a été initiée avec le Fonds de Dotation Mercy, qui ne s’est pas limitée à un simple soutien financier. « Il a vraiment joué un rôle de déclencheur » reconnaît immédiatement Xavier Fabre. « Il nous a permis de nous poser les bonnes questions et de nous fixer des objectifs, tout en nous octroyant des moyens pour les atteindre. Être redevable, c’est aussi très motivant ! »

Un ergonome, expérimenté à la fois dans le secteur industriel et dans le monde culturel, est ainsi venu grossir l’équipe, grâce au financement apporté par le Fonds Mercy. L’architecte l’admet : « Ugo Fougères a été un point d’appui important dans notre réflexion : il a interrogé, testé, observé sur le terrain. Il a vraiment pris le temps de comprendre. »

Enfin, un partenariat s’est mis en place avec l’École Nationale d’Ingénieurs de Metz (ENIM). Deux étudiants en fin de cycle ont consacré leur projet de fin d’études au « cas » de l’Opéra-Théâtre. « Par leurs questions, leurs idées, leurs apports techniques, ils nous ont permis d’avancer, de bousculer un peu nos habitudes. »

Pour le maître d’œuvre, ce croisement des regards et des expertises n’a que des avantages : « L’ergonome a été frappé par la gestion du temps : dans un lieu artistique comme l’opéra, le temps est plus mouvant qu’en industrie, soumis aux contraintes de la création. Les élèves ingénieurs, eux, abordaient initialement le sujet sous un angle très technologique, en pensant “machines”. Ils ont vite compris que leurs solutions devaient aussi s’adapter à des personnes, à des métiers, à une manière de travailler différente. Et moi, qui suis pourtant déjà sensible à ces questions, j’ai découvert, à travers ce projet, un champ de réflexion très vaste, très stimulant, qu’on explore rarement dans les métiers de maîtrise d’œuvre. Vraiment, quand le monde de l’industrie et celui de la culture se rencontrent sur un sujet comme la santé au travail, il se passe des choses merveilleuses » conclut Xavier Fabre en souriant.

Des propositions innovantes et inspirantes

Trois grands champs de travail ont émergé de cette réflexion interdisciplinaire.

Le premier concerne le transfert de décors et de matériaux entre l’atelier menuiserie et l’atelier peinture. « Un gros morceau », d’après Xavier Fabre. Le système initial, jugé peu pratique voire dangereux a été mécanisé et sécurisé avec des barrières, des rails de guidage et des systèmes de glissement adaptés.

La livraison des décors sur le plateau a aussi été totalement repensée. L’idée ? Concevoir un podium de levage capable de réaliser non seulement un mouvement vertical (du rez-de-chaussée au premier étage, où se trouve le plateau de scène) mais aussi latéral, pour passer entre les arcades classées et ainsi atteindre les camions de matériel stationnés place de l’Opéra. Le gain est évident : faire en sorte que les équipes de manutention n’aient plus à porter des décors volumineux à bout de bras, sur les 12 mètres qui séparent la zone de parking de l’entrée.

Enfin, le troisième axe de travail impacte les déplacements internes (costumes, accessoires, praticables, projecteurs, etc), la plupart du temps réalisés avec de petits chariots à bras. « Grâce à l’ergonome et aux étudiants de l’ENIM » explique Xavier Fabre « nous avons découvert qu’il existait, dans l’industrie moderne, des chariots motorisés très maniables, capables de franchir des rampes et qui facilitent énormément les déplacements, sans efforts physiques importants. C’est courant dans le secteur industriel, mais complètement méconnu dans le monde de l’opéra. Nous réfléchissons donc aujourd’hui à en acquérir. » Une innovation qui pourrait changer beaucoup de choses dans le quotidien des machinistes et des costumières.

La taille et le poids des décors impliquent des manipulations complexes qui peuvent être facilitées par des engins de levage

Et bientôt, un film

Cette aventure hors du commun sera prochainement capitalisée à travers un documentaire, diffusé à la télévision à l’automne. La réalisatrice, Caroline Tresca, a tout de suite compris qu’elle tenait là un matériau de premier choix : « On ne va pas faire un film patrimonial sur les dorures, les ballets et les lustres. On va parler des conditions de travail. Parce que c’est aussi ça qui fait vivre un théâtre. » Dans un lieu où l’imaginaire, l’art et la magie règnent en maître, c’est un très beau compliment.

Interviews et rédaction : Nathalie Ricaille, journaliste.

Les propos ayant servi de base à cet article ont été recueillis entre février et mai 2025.

Que toutes les personnes interviewées soient ici remerciées pour leur temps et l’intérêt qu’elles ont marqué à l’égard de la sollicitation du Fonds de Dotation Mercy.

Le Fonds de Dotation Mercy : 10 ans de philanthropie atypique et volontariste au service de l’innovation en matière de santé-sécurité et bien-être au travail

Cet article fait partie d'une série qui retrace les 10 premières années d'action du Fonds de Dotation Mercy. Constituée de 8 parties, dont vous pourrez trouver les liens ci-dessous, elle donne à voir à travers des témoignages variés la portée du Fonds de Dotation Mercy dans le soutien à l'innovation dans le domaine de la santé-sécurité et le bien-être au travail.

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